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possessions. Dans ses plus longues marches, il est sans cesse environné des objets chers, précieux ou familiers à sa vue. La soif du butin, la crainte ou le ressentiment d’une injure, l’impatience de la servitude, ont suffi dans tous les temps pour précipiter les tribus de la Scythie dans des pays inconnus, où elles espéraient trouver une nourriture plus abondante ou un ennemi moins redoutable. Les révolutions du Nord ont souvent déterminé le destin du Midi. Dans ce conflit de nations ennemies, les vainqueurs et les vaincus ont été alternativement poursuivans et poursuivis des confins de la Chine jusqu’à ceux de l’Allemagne[1]. Ces grandes émigrations, exécutées quelquefois avec une rapidité presque incroyable, étaient facilitées par la nature du climat. On sait que le froid est plus rigoureux dans la Tartarie qu’il ne devrait l’être naturellement au milieu d’une zone tempérée : on en donne pour raison la hauteur des plaines, qui s’élèvent, principalement du côté de l’Orient, à plus d’un demi-mille au-dessus du niveau de la mer, et la grande quantité de salpêtre dont le sol est rempli[2]. Dans l’hiver, les

  1. La découverte de ces émigrations des Tartares est due à M. de Guignes (Hist. des Huns, t. I, 2). Ce savant et laborieux interprète de la langue chinoise a ouvert des scènes nouvelles et importantes dans l’histoire du genre humain.
  2. Les missionnaires ont découvert dans la Tartarie chinoise, à quatre-vingts lieues du grand mur, une plaine élevée de trois mille pas géométriques au-dessus du niveau de la mer. Montesquieu, qui a usé et abusé des relations des