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que le vigoureux bétail du Nord ne trouve pas à y pâturer : d’ailleurs, la patiente abstinence des Tartares et leur peu de délicatesse servent à ménager les munitions. Ils mangent également les animaux tués pour leur nourriture, et ceux qui sont morts de maladie ; ils ont un goût de préférence pour la chair du cheval, proscrite dans tous les temps par les nations civilisées de l’Europe et de l’Asie ; et ce goût particulier facilite leurs expéditions militaires. Dans leurs incursions les plus rapides et les plus éloignées, chaque cavalier Scythe mène toujours avec lui un second cheval, et ses relais servent, dans l’occasion, ou à hâter la marche, ou à apaiser la faim des Barbares. Le courage et la pauvreté trouvent bien des ressources. Lorsque les fourrages commencent à s’épuiser autour du camp des Tartares, ils égorgent la plus grande partie de leurs troupeaux, et conservent la viande, qu’ils font fumer ou sécher au soleil. Dans la nécessité imprévue d’une marche rapide, ils font provision d’une quantité de petites boules de fromage, ou plutôt de lait caillé durci, qu’ils délaient au besoin dans de l’eau, et cette nourriture peu substantielle suffit pour soutenir, pendant plusieurs jours, la vie et même le courage de leurs patiens guerriers. Mais cette extraordinaire abstinence, digne d’être approuvée du stoïcien, et peut-être même enviée par l’ermite, est ordinairement suivie des plus furieux excès de voracité. Les vins des climats plus fortunés sont le présent le plus agréable, la denrée la plus précieuse que l’on puisse offrir à des Tartares ;