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conduisit ingénieusement jusqu’à la fin cette espèce de tragédie. Quand les Chamaviens demandèrent la paix, il exigea qu’on lui remît le fils de leur roi, comme le seul otage qui pût lui inspirer quelque confiance. Un silence lugubre, interrompu par des larmes et de longs gémissemens, peignit d’une manière expressive la douleur et la perplexité des Barbares. Leur chef, vénérable par ses cheveux blancs, déclara que son fils n’existait plus, et déplora, d’une manière pathétique, sa perte personnelle qui devenait une calamité publique. Tandis que les Chamaviens demeuraient prosternés au pied du trône, le jeune prince captif, qu’ils croyaient avoir été tué, parut inopinément devant eux. Dès que les transports bruyans de la joie furent assez apaisés pour qu’il pût se faire entendre, Julien leur tint le discours suivant : « Contemplez le prince qui faisait couler vos larmes, c’est par votre faute que vous l’aviez perdu ; Dieu et les Romains vous le rendent. Je le garderai, j’élèverai sa jeunesse, plutôt comme un monument de ma propre vertu, que comme un gage de votre sincérité. Si vous violez la foi que vous m’avez jurée, les armes de la république vengeront votre perfidie sur les coupables, et non pas sur l’innocent. » Les Barbares se retirèrent pénétrés de reconnaissance et d’admiration[1].

  1. Eunape (in Excerpt. legat., p. 15, 16, 17) raconte cette histoire intéressante, que Zosime a abrégée, et il l’orne de toute l’amplification d’un rhéteur grec ; mais le