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puisque, non contens d’établir l’immortalité de l’âme, ils prétendaient prouver son éternité antérieure, et qu’ils penchaient à la regarder comme une portion de cet esprit infini, existant par lui-même, qui remplit et soutient l’univers[1]. Un système si élevé au-dessus des sens et de l’expérience de tous les hommes, pouvait amuser le loisir d’un philosophe ; peut-être aussi, dans le silence de la solitude, cette doctrine consolante offrait-elle quelquefois un rayon d’espoir à la vertu découragée. Mais la faible impression qui avait été communiquée dans les écoles, se perdait bientôt au milieu du tumulte et des agitations de la vie active. Nous connaissons assez les actions, les caractères et les motifs des personnages éminens qui fleurirent du temps de Cicéron et des premiers Césars, pour être assurés que leur conduite dans cette vie ne fut jamais dirigée par aucune conviction sérieuse des punitions et des récompenses d’un état futur. Au barreau et dans le sénat de Rome, les orateurs les plus habiles ne craignaient pas d’offenser leurs auditeurs[2] en représentant cette doctrine

  1. La préexistence de l’âme, en tant au moins que cette doctrine est compatible avec la religion, fut adoptée par plusieurs des Pères de l’Église grecque et latine. Voy. Beausobre, Hist. du manichéisme, l. VI, c. 4.
  2. Voy. Cicéron, pro Cluent., c. 61 ; César, apud Sallust., de bell. catil., c. 50 ; Juvénal, sat. II, 149.

    Esse aliquos manes, et subterranea regna

    Nec pueri credunt, nisi qui nondum ære lavantur.