Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 3.djvu/40

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rebelles, qui avaient été dégradés de l’état d’ange, et précipités dans le gouffre infernal, avaient toujours la permission d’errer sur la terre, de tourmenter le corps des pécheurs et de séduire leurs âmes. Les démons s’aperçurent bientôt et abusèrent du penchant naturel de l’homme à la dévotion ; détournant adroitement les mortels de l’adoration qu’ils devaient à leur Créateur, ils usurpèrent la place et les honneurs de l’Être-Suprême. Le succès de leurs détestables artifices satisfit à la fois leur vanité et leur vengeance ; ils goûtèrent la seule consolation dont ils pussent être susceptibles, l’espoir d’envelopper l’espèce humaine dans leur crime et dans leur misère. Il était reconnu, ou du moins on s’imaginait qu’ils s’étaient partagés entre eux les rôles les plus importans du polythéisme : l’un de ces démons prenait le nom et les attributs de Jupiter, l’autre d’Esculape, un troisième de Vénus, et un quatrième peut-être d’Apollon[1]. On ajoutait que leur longue expérience, et leur nature aérienne les mettaient en état de remplir ces différens caractères avec une adresse et avec une dignité convenables. Cachés dans les temples, ils avaient institué les fêtes et les sacrifices ; ils avaient inventé les fables : les oracles étaient rendus par ces esprits infernaux, et il leur

    par Athénagoras, legat, c. 22, etc., et par Lactance, institut. divin., II, 14-19.

  1. Tertullien (Apolog., c. 23) allègue la confession des démons eux-mêmes, toutes les fois qu’ils étaient tourmentés par les exorcistes chrétiens.