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livrés, dit-on, à la main du bourreau. Ce nombre extraordinaire est consigné dans les ouvrages de Grotius[1], homme de génie, célèbre par l’étendue de ses connaissances, qui conserva sa modération au milieu des fureurs des sectes ennemies, et qui composa les annales de son siècle et de sa patrie dans un temps où l’invention de l’imprimerie avait facilité les moyens de s’instruire, et augmentait le danger d’être découvert lorsqu’on s’éloignait de la vérité. Si nous sommes obligés de nous soumettre à l’autorité de Grotius, il faudra convenir que le nombre des protestans exécutés dans une seule province et sous un seul règne, surpassa de beaucoup celui des premiers martyrs, qui, pendant une période de trois cents ans, et dans la vaste étendue de la monarchie romaine, avaient subi le dernier supplice. Mais si l’improbabilité du fait l’emportait sur le témoignage ; si Grotius était convaincu d’avoir exagéré le mérite et les souffrances des réformés[2], ne serions-nous pas en droit de demander quelle confiance on peut avoir dans les monumens douteux et imparfaits de la crédulité ancienne, et jusqu’à quel point il est

  1. Grotius, Annal., De rebus belgicis, l. I, p. 12. édit. fol.
  2. Fra-Paolo (Hist. du concile de Trente, l. III) réduit le nombre des martyrs des Pays-Bas à cinquante mille. En savoir et en modération, Fra-Paolo ne le cédait pas à Grotius ; la priorité de temps donne au témoignage du premier quelque avantage qu’il perd, d’un autre côté, par la distance qui sépare Venise des Pays-Bas.