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stitieuse[1]. « Malheureux ! s’écriait le proconsul Antonin, en s’adressant aux chrétiens d’Asie ; malheureux ! puisque vous êtes si las de la vie, vous est-il si difficile de trouver des cordes et des précipices ?[2] » Il était (comme l’a observé un pieux et savant historien) fort réservé à punir des coupables qui n’avaient d’accusateurs qu’eux-mêmes, les lois impériales n’ayant point encore pourvu à un cas si extraordinaire. Se bornant donc à en condamner un petit nombre pour servir d’exemple aux autres chrétiens, il renvoyait la multitude avec indignation et avec mépris[3]. Malgré ce dédain réel ou affecté, la constance intrépide des fidèles produisit les effets les plus salutaires sur les esprits que la nature ou la grâce avait heureusement disposés à recevoir les vérités de la religion. Souvent les idolâtres, témoins de ces tristes spectacles, touchés de compassion, admiraient et se convertissaient. Un généreux enthousiasme se communiquait du patient aux spectateurs ; et, comme on l’a souvent observé, le sang des martyrs devint la semence de l’Église.

  1. Voyez Épictète, l. IV, c. 7 (quoique l’on doute qu’il fasse allusion aux chrétiens) ; Marc-Aurèle, De rebus suis, l. XI, c. 3 ; Lucien, in Peregrin.
  2. Tertullien, ad Scapulam, c. 5. Les savans sont divisés entre trois hommes du même nom, qui tous ont été proconsuls d’Asie. Je suis porté à croire qu’il est ici question d’Antonin-le-Pieux, qui fut empereur dans la suite, et qui pouvait avoir gouverné l’Asie sous le règne de Trajan.
  3. Mosheim, De rebus christ. ante Constant., p. 23.