Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 3.djvu/221

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tyrs, qui exécutèrent réellement ce que saint Ignace avait résolu, qui irritèrent la fureur des lions ; qui, exhortant les bourreaux à se hâter, s’élancèrent avec joie dans les flammes allumées pour les consumer, et qui donnèrent des marques de plaisir et de satisfaction au milieu des tourmens les plus cruels. On vit souvent le zèle impatient des chrétiens forcer les barrières que le gouvernement avait posées pour la sûreté de l’Église ; ils suppléaient, par leur déclaration volontaire, au manque d’accusations ; ils troublaient, sans ménagement, le service public du paganisme[1] ; et, se précipitant en foule autour du tribunal des magistrats, ils les sommaient de prononcer la sentence de condamnation, et de leur infliger les peines décernées par la loi. Une conduite si remarquable ne pouvait échapper à l’attention des anciens philosophes ; mais il paraît qu’elle leur inspira bien moins d’admiration que d’étonnement. Incapables de concevoir les motifs qui transportaient quelquefois le courage des fidèles au-delà des bornes de la prudence ou de la raison, ils attribuaient ce désir de la mort à un résultat étrange de désespoir obstiné, d’insensibilité stupide ou de frénésie super-

  1. L’histoire de Polyeucte, qui a fourni au grand Corneille le sujet d’une belle tragédie, est un des exemples les plus célèbres de ce zèle outré, quoiqu’il ne soit peut-être pas des plus authentiques. Il faut observer que le soixantième canon du concile d’Elvire refuse le titre de martyrs à ceux qui s’exposaient à la mort en détruisant publiquement les idoles.