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rompu, elle regrette toujours la perte d’une illusion agréable. L’amour que les hommes ont si généralement pour le merveilleux et pour les choses surnaturelles, la curiosité qui les porte à connaître l’avenir, leur penchant invincible à étendre leurs espérances et leurs craintes bien au-delà des bornes du monde visible, furent les principales causes qui favorisèrent l’établissement du polythéisme. La nécessité de croire presse si fortement le vulgaire, qu’à la chute d’un système de mythologie, on verra probablement s’élever quelque autre superstition. Des divinités formées sur un modèle plus nouveau et plus conforme au goût du siècle, auraient peut-être bientôt occupé les temples abandonnés d’Apollon et de Jupiter, si, dans ce moment décisif, la sagesse de la Providence n’eût envoyé sur la terre une révélation pure et sainte, propre à inspirer l’estime et la conviction la plus raisonnable, et ornée en même temps de tout ce qui pouvait exciter la curiosité, l’étonnement et la vénération des peuples. Dans la disposition où ils se trouvaient alors, dégagés presque entièrement de leurs préjugés artificiels, mais également susceptibles et avides d’un attachement religieux, un objet bien moins digne de leur culte aurait suffi pour remplir le vide de leur cœur et pour satisfaire l’ardeur inquiète de leurs passions. Si l’on veut suivre cette réflexion dans toute son étendue, loin de s’étonner des progrès rapides du christianisme, on sera peut-être surpris que ces suc-