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guerre, nous ne pouvons assez nous étonner que des sauvages nus, et sans autre secours que leur valeur, aient osé se mesurer contre des légions formidables et les différens corps d’auxiliaires qui secondaient leurs opérations. Il fallut, pour balancer les forces, que le luxe eût énervé la vigueur des Romains, et qu’un esprit de désobéissance et de sédition eût relâché la discipline de leurs armées. Rome perdit elle-même de sa supériorité en recevant dans ses armées des Barbares auxiliaires ; démarche fatale qui leur apprit insensiblement l’art de la guerre et de la politique. Quoiqu’elle les admît en petit nombre et avec la plus grande circonspection, l’exemple de Civilis aurait dû lui apprendre qu’elle s’exposait à un danger évident, et que ses précautions n’étaient pas toujours suffisantes[1]. Durant les discordes intestines qui suivirent la mort de Néron, cet adroit et intrépide Batave, que ses ennemis ont daigné comparer avec Annibal et avec Sertorius[2], forma le noble projet de briser les fers de ses compatriotes, et de rendre leur nom célèbre. Huit cohortes bataves, dont le courage avait été éprouvé dans les guerres de Bretagne et d’Italie, se rangèrent sous

  1. La relation de cette entreprise occupe une grande partie du IVe et du Ve livre de l’Histoire de Tacite, qui a traité ce sujet avec plus d’éloquence que de clarté. Sir Henry Saville relève, dans sa narration, plusieurs inexactitudes.
  2. Tacite, Hist., IV, 13. Comme eux il avait perdu un œil.