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ses jours et ses nuits à manger et à dormir. Et cependant, combien la nature ne diffère-t-elle pas d’elle-même ! selon la remarque d’un écrivain qui en avait sondé toute la profondeur, ces mêmes sauvages étaient tour à tour les plus indolens et les plus impétueux de tous les hommes, ils aimaient l’oisiveté, ils détestaient le repos[1]. Leur âme languissante, accablée de son propre poids, cherchait avidement quelque sensation nouvelle, quelque objet capable de lui donner des secousses. La guerre et ses horreurs avaient seules des charmes pour ces caractères indomptés. Dès que le bruit des armes se faisait entendre, le Germain, transporté, sortait tout à coup de son engourdissement ; il volait aux combats ; il se précipitait au milieu des dangers. Les violens exercices du corps et les mouvemens rapides de l’âme lui donnaient un sentiment plus vif de son existence. Dans quelques tristes intervalles de paix, ces Barbares se livraient sans aucune modération aux excès de la boisson et du jeu. Ces deux plaisirs, dont l’un enflammait leurs passions, et l’autre éteignait leur raison, contribuaient ainsi, par des moyens différens, à les délivrer de la peine de penser. Ils mettaient leur gloire à rester à table des journées entières. Souvent ces assemblées de débauche étaient souillées du sang de leurs parens et de leurs amis[2]. Ils payaient avec la plus scrupuleuse exactitude les

  1. Tacite, Germ., 15.
  2. Idem, 22, 23.