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mètre les sensations ou les expressions d’un orateur né sous le climat fortuné de la Grèce et de l’Asie. Il existe cependant deux circonstances remarquables et d’une nature moins équivoque : 1o. La glace arrêtait souvent le cours des deux grands fleuves qui servaient de limites à l’empire. Pendant l’hiver, le Rhin et le Danube étaient capables de soutenir les fardeaux les plus énormes. Alors les Barbares qui choisissaient ordinairement cette saison rigoureuse pour leurs incursions, transportaient, sans crainte et sans danger, sur une masse d’eau devenue immobile[1], leurs nombreuses armées, leur cavalerie et des chariots remplis de provisions de toute espèce. Les siècles modernes n’ont jamais été témoins d’un pareil phénomène. 2o. Le renne, cet animal utile, dont le sauvage du Nord, condamné à vivre sous un ciel affreux, tire de si grands avantages, est d’une constitution qui supporte, qui exige même le froid le plus rigoureux. On le trouve sur le rocher du Spitzberg, à dix degrés du pôle. Il semble se plaire au milieu des neiges de la Sibérie et de la Laponie : aujourd’hui il ne peut vivre, encore moins

  1. Diodore de Sicile, l. V, p. 340. édit. Wessel ; Hérodien, liv. VI, p. 221 ; Jornandès, c. 55. Sur les rives du Danube, le vin était souvent gelé, et on l’apportait à table en gros morceaux : frusta vini. (Ovide, Epist. ex ponto, l. IV, 7, 9, 10 ; Virgile, Géorg., l. III, 355). Ce fait est confirmé par un observateur, soldat et philosophe, qui avait senti le froid rigoureux de la Thrace. Voyez Xénophon, Retraite des dix mille, l. VII, p. 560, édit. Hutchinson.