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l’élévation de Constantin. Les idées de succession et d’héritage sont si simples, qu’elles paraissent presque à tous les hommes fondées non-seulement sur la raison, mais encore sur la nature elle-même. Notre imagination applique facilement au gouvernement des états les principes adoptés pour les propriétés particulières ; et toutes les fois qu’un père vertueux laisse après lui un fils dont le mérite semble justifier l’estime du peuple ou seulement ses espérances, la double influence du préjugé et de l’affection agit avec une force irrésistible. L’élite des armées d’Occident avait suivi Constance en Bretagne. Aux troupes nationales se trouvait joint un corps nombreux d’Allemands, qui obéissaient à Crocus, un de leurs chefs héréditaires[1]. Les partisans de Constantin inspirèrent avec soin aux légions une haute idée de leur importance, et ils ne manquèrent pas de les assurer que l’Espagne, la Gaule et la Bretagne approuveraient leur choix. Ils demandaient aux soldats s’ils pouvaient balancer un moment entre l’honneur de placer à leur tête le digne fils d’un prince qui leur avait été si cher, et la honte d’attendre patiemment l’arrivée de quelque étranger obscur, que le souve-

  1. « Cunctis qui aderant annitentibus, sed præcipuè Croco (alii Eroco) Alamannorum rege, auxilii gratiâ Constantium comitato, imperium capit. » Victor le jeune, c. 41. C’est peut-être le premier exemple d’un roi barbare qui ait servi dans l’armée romaine avec un corps indépendant de ses propres sujets. Cet usage devint familier ; il finit par être fatal.