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après le pouvoir[1]. Dans ses entretiens familiers, il avouait fréquemment que de tous les arts le plus difficile est celui de régner ; et il avait coutume de s’exprimer sur ce sujet avec une chaleur que l’expérience seule peut donner. « Qu’il arrive souvent, disait-il, que l’intérêt de quatre ou cinq ministres les porte à se concerter pour tromper leur maître ! Séparé du genre humain par son rang élevé, la vérité ne peut trouver accès auprès de lui. Il est réduit à voir par les yeux de ses courtisans ; rien n’arrive jusqu’à lui que défiguré par eux. Le souverain confère les dignités les plus importantes au vice et à la faiblesse ; il écarte le talent et la vertu. C’est par ces indignes moyens, ajoutait-il, que les princes les meilleurs et les plus sages sont vendus à la corruption vénale de leurs flatteurs[2]. » Une juste appréciation des grandeurs et l’assurance d’une réputation immortelle nous rendent plus chers les plaisirs de la solitude ; mais l’empereur romain avait joué sur la scène du monde un rôle trop important, pour qu’il lui fût possible de goûter sans mélange les douceurs et la sécurité d’une condition privée. Il ne pouvait ignorer les troubles qui déchirèrent l’empire après son abdication, ni rester indifférent sur leurs tristes conséquences. La crainte, le chagrin et l’inquiétude

  1. C’est à Victor le jeune que nous devons ce mot fameux. Eutrope parle du fait d’une manière plus générale.
  2. Hist. Aug., p. 223, 224. Vopiscus avait appris de son père cette conversation.