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Perse[1]. On ne sait s’ils avaient le projet de diviser entre eux l’administration ou les provinces de l’empire ; mais il est vraisemblable que leur union n’eût point été de longue durée. La jalousie du pouvoir aurait été enflammée par l’opposition des caractères. Dans le plus corrompu des siècles, Carin était indigne de vivre ; Numérien méritait de régner dans des temps plus heureux. Ses manières affables et ses vertus aimables lui assurèrent, dès qu’elles furent connues, l’estime et l’affection du public ; il possédait les qualités brillantes de poète et d’orateur, qui honorent et embellissent l’état le plus humble comme le plus élevé. Cependant, quoique son éloquence eût reçu les applaudissemens du sénat, il avait moins pris pour modèle Cicéron que de modernes déclamateurs. Mais dans un siècle dont le mérite poétique n’est pas à dédaigner, il disputa le prix aux plus célèbres de ses contemporains ; et il resta toujours l’ami de ses rivaux : ce qui montre évidemment la bonté de son cœur ou la supériorité de son génie[2]. Mais les talens de Numérien le portaient à la contemplation ; la nature ne l’avait point formé pour une vie active. Lorsque la grandeur soudaine de sa maison le força, malgré lui, de s’arracher aux char-

  1. Némésien (Cynegeticon) paraît anticiper dans son imagination cet heureux jour.
  2. Il gagna toutes les couronnes sur Némésien, son rival dans la poésie didactique. Le sénat éleva une statue au fils de Carus, avec une inscription très-équivoque : Au plus puissant des orateurs. Voyez Vopiscus, Hist. Aug., p. 251.