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bateaux ouverts, grossièrement construits, mal manœuvrés, surchargés de soldats et dénués de canon ; et comme le courage vient en grande partie du sentiment de nos forces, les plus braves janissaires purent trembler sur un nouvel élément. Du côté des chrétiens, d’habiles pilotes gouvernaient cinq grands vaisseaux remplis des vétérans de l’Italie et de la Grèce, qui avaient une longue habitude des travaux et des dangers de la navigation. Ils cherchaient à couler bas ou à mettre en pièces les faibles embarcations qui les arrêtaient. Leur artillerie balayait les vagues, ils versaient le feu grégeois sur ceux des ennemis qui osaient s’approcher pour tenter l’abordage, et les vents et les flots sont toujours du côté des navigateurs les plus habiles. Les Génois sauvèrent dans ce combat le vaisseau impérial, qui se trouvait accablé par le nombre ; et les Turcs, repoussés dans deux attaques, l’une de loin, l’autre plus rapprochée, essuyèrent une perte considérable. Mahomet était à cheval sur la grève ; il encourageait les musulmans par sa voix, par des promesses de récompense, par la crainte qu’il inspirait, plus puissante sur eux que la crainte de l’ennemi. L’effervescence de ses esprits, les mouvemens de son corps[1] semblaient imiter les actions des combattans, et comme s’il avait été le maître de la nature, étranger à

  1. Je dois l’avouer, j’ai sous les yeux le tableau animé que fait Thucydide (l. VII, c. 71) de l’effervescence et de gestes des Athéniens durant un combat naval qui eut lieu dans le grand port de Syracuse.