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coudées. On donna à la forteresse[1] une forme triangulaire ; une grosse tour épaula chacun des angles, dont l’un se trouvait sur le penchant de la colline, et les deux autres sur la côte de la mer. On fixa l’épaisseur des murs à vingt-deux pieds, et à trente le diamètre des tours ; une solide plateforme de plomb couvrit tout l’édifice. Mahomet en personne pressa et dirigea l’ouvrage avec une ardeur infatigable ; ses trois visirs voulurent avoir l’honneur d’achever chacun leur tour respective ; le zèle des cadis le disputa d’émulation à celui des janissaires, le service de Dieu et du sultan ennoblissait les fonctions les plus ignobles, et l’activité de la multitude était animée par les regards d’un despote, qui, d’un sourire, envoyait l’espérance de la fortune, et d’un coup d’œil annonçait la mort. L’empereur grec vit avec effroi les progrès d’un travail qu’il ne pouvait plus arrêter ; c’est en vain qu’il essaya, par des caresses et des présens, d’apaiser un ennemi inflexible qui cherchait et fomentait secrètement les occasions de rupture. Ces occasions ne pouvaient tarder à se présenter. Les avides et sacriléges musulmans employaient sans scrupule les débris de plusieurs magnifiques églises, et même des colonnes de marbre consacrées à l’archange saint Michel ; et quelques chrétiens, qui voulurent les empêcher de s’en emparer, reçurent de

  1. Sur les dimensions de cette forteresse, qu’on nomme aujourd’hui le vieux château d’Europe, Phranza n’est pas tout-à-fait d’accord avec Chalcocondyles, dont la description a été vérifiée sur les lieux par son éditeur Leunclavius.