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la foule menaçante, et arrivèrent d’un air assuré jusque devant l’empereur. Là, récapitulant d’un ton péremptoire leurs services et ses engagemens, ils déclarèrent fièrement que si l’on ne satisfaisait sur-le-champ et pleinement à leurs justes demandes, ils ne reconnaissaient plus Alexis ni pour ami ni pour souverain. Après cette déclaration, la première de ce genre dont eût jamais été blessée l’oreille d’un empereur, ils s’éloignèrent sans laisser apercevoir le moindre symptôme de crainte, mais étonnés d’avoir pu sortir du palais d’un despote et d’une ville en fureur. Leur retour au camp fut des deux côtés le signal de la guerre.

La guerre recommence. A. D. 1204.

Parmi les Grecs, la prudence et l’autorité étaient forcées de céder à l’impétuosité d’un peuple qui prenait sa rage pour de la valeur, sa multitude pour de la force, et l’impulsion du fanatisme pour une inspiration du ciel. Les deux nations méprisaient Alexis et l’accusaient également de parjure. Le peuple, qui exprimait hautement son mépris pour cette race vile et bâtarde, environna le sénat, lui demandant, par ses clameurs, un plus digne souverain. La pourpre fut successivement offerte à tous les sénateurs distingués par leur naissance ou par leur dignité, sans qu’aucun d’eux voulût accepter ce mortel honneur. Les sollicitations durèrent trois jours, et l’historien Nicétas, membre de cette assemblée, apprend que la crainte et la faiblesse soutinrent la fidélité des sénateurs. La popu-