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marine des Grecs, furent pris ou coulés bas. Les éperons, ou le poids des galères[1], coupèrent ou brisèrent les énormes chaînons ; et la flotte des Vénitiens, victorieuse et tranquille, jeta l’ancre dans le port de Constantinople. Tels furent les exploits par lesquels les Latins achetèrent les moyens d’approcher pour l’assiéger, avec environ vingt mille hommes qui leur restaient encore, une ville qui renfermait plus de quatre cent mille hommes[2], auxquels il ne manquait que du courage pour la défendre. Ce calcul suppose, à la vérité, une population d’environ deux millions d’habitans ; mais en admettant que les Grecs

  1. Le vaisseau qui rompit la chaîne portait le nom d’Aquila, l’Aigle (Dandolo, Chron., p. 322), que Blondus (De gestis Venet.) a transformé en Aquilo, vent du nord. Ducange (dans ses Observations, no 83) adopte ce dernier ; mais il ne connaissait pas le texte irrécusable de Dandolo, et il négligea d’observer la topographie du port ; le vent du sud-est aurait été infiniment plus favorable à l’expédition que le vent du nord.
  2. Quatre cent mille hommes ou plus (Villehardouin, no 134), doit s’entendre d’hommes en état de porter les armes. Le Beau (Hist. du Bas-Empire, t. XX, p. 417) accorde à Constantinople un million d’habitans, soixante mille hommes de cavalerie, et une multitude innombrable de soldats. Dans son état de dégradation, la capitale de l’empire ottoman contient aujourd’hui quatre cent mille âmes (Voyages de Bell, vol. II, p. 401, 402) ; mais comme les Turcs ne tiennent aucun registre des morts ni des naissances, et que tous les rapports sont suspects, il est impossible de constater leur population réelle. (Niebuhr, Voyag. en Arab., t. I, p. 18, 19.)