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perdit bientôt dans la masse des peuples vaincus, qui, sous le nom de Turcs, sont unis par le lien commun des mœurs, du langage et de la religion. Dans toutes les villes, depuis Erzeroum jusqu’à Belgrade, cette dénomination nationale est celle de tous les musulmans, qui sont considérés comme les premiers et les plus honorables des habitans ; mais ils ont abandonné, au moins dans la Romanie, les villages et la culture des terres aux paysans chrétiens. Dans la première vigueur de l’empire ottoman, les Turcs furent eux-mêmes exclus de tous les honneurs civils et militaires ; et une classe d’esclaves, un peuple factice, fut formé par la discipline de l’éducation à obéir, à combattre et à commander[1]. Depuis Orchan jusqu’au premier Amurath, les sultans tinrent pour maxime qu’un gouvernement militaire devait à chaque génération renouveler ses soldats, et qu’il ne fallait pas chercher ces soldats parmi les habitans efféminés de l’Asie, mais chez les belliqueuses nations de l’Europe. Les provinces de Thrace, de Macédoine, d’Albanie, de Bulgarie et de Servie devinrent les pépinières des armées ottomanes ; et lorsque les conquêtes eurent diminué le cinquième qui revenait au sultan sur le nombre des captifs, on assujettit les chrétiens à une taxe barbare que leur enlevait chaque cinquième enfant, ou bien se percevait tous les

  1. Chalcocondyles (l. V) et Ducas (c. 23) nous donnent une esquisse grossière de la politique ottomane, et nous font connaître la métamorphose des enfans chrétiens en soldats turcs.