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dant d’un seul ne peut être fondé que sur le pouvoir et la volonté de punir ses ennemis et de récompenser ses partisans. Lorsque Témugin conclut sa première ligue militaire, les cérémonies se bornèrent au sacrifice d’un cheval, et à goûter réciproquement de l’eau d’un ruisseau. Il promit de partager avec ses compagnons les faveurs et les revers de la destinée, et leur distribua ses effets et ses chevaux, conservant pour fortune leur reconnaissance et son espoir. Après sa première victoire, il fit placer soixante-dix chaudières sur une fournaise, et soixante-dix rebelles des plus coupables furent jetés dans l’eau bouillante. Sa sphère d’attraction s’agrandit tous les jours par la ruine de ceux qui résistaient et la prudente soumission des autres ; les plus hardis tremblèrent en contemplant, enchâssé dans de l’argent, le crâne du kan des Keraïtes[1], qui, sous le nom de prêtre Jean, avait entretenu une correspondance avec le pape et les princes de l’Europe. L’ambitieux Témugin ne négligea point l’influence de la superstition ; et ce fut d’un prophète de ces hordes sauvages, qui montait quelquefois au ciel sur un cheval blanc, qu’il reçut le

  1. Les kans des Kéraites n’auraient probablement pu même lire les éloquentes épîtres que composèrent en leur nom les missionnaires nestoriens, qui enrichissaient leur royaume de toutes les fabuleuses merveilles attribuées aux royaumes indiens. Peut-être ces Tartares (nommés le prêtre Jean) s’étaient-ils soumis au baptême et l’ordination (Voyez Assem., Bibl. orient., t. III, part. II, p. 487-503).