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passer dans leur pratique quelques principes de médecine et adopté quelques figures de mathématiques ; la nécessité put former quelques interprètes d’un genre peu relevé, pour servir aux affaires des marchands et des soldats ; mais le commerce des Orientaux n’avait point répandu dans les écoles d’Europe l’étude et la connaissance de leurs langues[1]. Si un principe de religion, semblable à celui des mahométans, repoussait l’idiome du Koran, le désir de comprendre l’original de l’Évangile aurait dû exciter la patience et la curiosité des chrétiens, et la même grammaire leur eût découvert les beautés d’Homère et de Platon. Cependant, durant un règne de soixante ans, les Latins de Constantinople dédaignèrent le langage et l’érudition de leurs sujets ; les manuscrits furent les seuls trésors qu’on ne leur envia point et qu’on ne chercha point à leur arracher. Les universités de l’Occident regardaient, à la vérité, Aristote comme leur oracle ; mais c’était un Aristote barbare, et au lieu de recourir à la source, elles se contentaient humblement d’une traduction fautive composée par des Juifs ou des Maures de l’Andalousie. Les croisades n’eurent pour principe qu’un fanatisme barbare, et leurs effets les plus importans furent analogues à leur cause. Chaque pèlerin avait l’ambition

  1. Voyez les plaintes de Roger Bacon (Biographica britannica, vol. I, p. 418, édit. de Kippis). Si Bacon ou Gerbert entendaient quelques auteurs grecs, ils étaient des prodiges dans leur siècle, et ne devaient point cet avantage au commerce de l’Orient.