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la défaite des Latins ; leur destruction eût été inévitable, si le maréchal de Romanie n’avait déployé ce courage calme et ces talens militaires rares dans tous les siècles, mais plus extraordinaires encore dans un temps où la guerre était moins une science qu’une passion. Villehardouin versa ses craintes et sa douleur dans le sein de son courageux et fidèle ami le doge ; mais il répandit dans le camp une confiance qui était l’unique moyen de salut. Après avoir conservé durant tout un jour son poste dangereux entre la ville et l’armée ennemie, le maréchal décampa sans bruit dans la nuit, et sa savante retraite de trois jours consécutifs aurait été admirée de Xénophon et des dix mille ; courant sans cesse de l’arrière à l’avant-garde, là il soutenait le poids de la poursuite des uns, ici il retenait la précipitation des fugitifs. Partout où les Comans se présentaient, ils trouvaient une ligne de lances inébranlables. Le troisième jour, les troupes harassées aperçurent la mer, la ville solitaire de Rhodosto[1], et leurs compagnons arrivant des côtes de l’Asie ; ils s’embrassèrent, versèrent des larmes, et réunirent leurs armes et leurs conseils. Le comte Henri prit, au nom de son frère, le gouvernement d’un empire encore dans l’enfance et déjà

  1. La géographie exacte et le texte original de Villehardouin (no 194) placent Rhodosto à trois journées de chemin (trois jornées) d’Andrinople ; mais Vigenère, dans sa version, a ridiculement substitué trois heures ; et cette erreur, que Ducange n’a point corrigée, a fourvoyé plusieurs modernes dont je tairai les noms.