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lieutenant de l’ermite et soldat courageux quoique indigent, commanda l’avant-garde des croisés. On peut se faire une idée de cette populace, en observant qu’on n’y comptait qu’environ huit cavaliers pour quinze mille piétons. Godescal, autre moine fanatique dont les sermons avaient entraîné quinze à vingt mille paysans des villages d’Allemagne, suivit de près l’exemple et les traces de Pierre l’ermite ; et ceux-ci furent encore bientôt suivis de deux cent mille aventuriers, le plus stupide et le plus grossier rebut du peuple, qui mêlaient aux pratiques de piété toute la licence du brigandage, de l’ivrognerie et de la prostitution. Quelques comtes ou gentilshommes, à la tête de trois mille chevaux, suivaient les mouvemens de cette multitude pour partager son butin. Mais leurs véritables chefs (pourra-t-on croire à cet excès de démence ?) étaient une oie et une chèvre qu’ils portaient à la tête de la troupe, et auxquelles ces dignes chrétiens attribuaient une inspiration divine[1]. Ce fut contre les Juifs, les meurtriers de Jésus-Christ, que s’exercèrent les premiers et les

  1. Fuit et aliud scelus detestabile in hâc congregatione pedestris populi stulti et vesanæ levitatis anserem quemdam divino spiritu asserebant afflatum, et capellam non minus codem repletam ; et hos sibi duces secundæ viæ fecerant, etc. (Albert d’Aix, l. I, c. 31, p. 169). Si ces paysans eussent fondé un empire, ils auraient pu introduire, comme en Égypte, le culte des animaux, que la philosophie de leurs descendans aurait recouvert de quelque allégorie subtile et spécieuse.