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dis terrestre, un riche et honorable établissement auquel il ne donnait de bornes que celles de ses désirs[1]. Leurs vassaux et leurs soldats s’en rapportaient de leur fortune à Dieu et à leur maître. La dépouille d’un émir turc suffisait pour enrichir jusqu’au dernier soldat de l’armée, et la saveur des vins de la Grèce, la beauté des femmes grecques excitaient, dans l’imagination des champions de la croix, des mouvemens plus conformes à leur nature qu’à leur profession[2]. L’amour de la liberté animait les victimes de la tyrannie féodale et ecclésiastique. En prenant la croix, les bourgeois et les paysans attachés à la servitude de la glèbe, pouvaient échapper au pouvoir d’un maître orgueilleux, et se transplanter avec leur famille dans une terre de liberté. Le moine pouvait se soustraire à la discipline de son couvent ; le débiteur suspendre les arrérages de l’usure

  1. Les aventuriers écrivaient des lettres dans lesquelles ils confirmaient toutes ces belles espérances, ad animandos qui in Franciâ residerant. Hugues de Reiteste se vantait d’avoir pour sa part une abbaye et dix châteaux, dont le revenu se montait à dix mille marcs, et prétendait que la conquête d’Alep lui vaudrait encore cent châteaux. (Guibert, p. 554, 555.)
  2. Dans sa lettre, vraie ou fausse, adressée au comte de Flandre, Alexis mêle au danger de l’Église et aux reliques de saints, l’amor auri et argenti et pulcherrimarum fæminarum voluptas (p. 476) : comme si, dit Guibert en colère, les femmes de la Grèce étaient plus belles que celles de la France !