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mais comme il se rendait remarquable par l’excès d’une folie alors en vogue, le pape Urbain II le reçut comme un prophète, applaudit à son glorieux dessein, promit de l’appuyer dans un concile général, et l’encouragea à proclamer la délivrance de la Terre-Sainte. Soutenu de l’approbation du pontife, le zélé missionnaire traversa les provinces d’Italie et de France avec autant de succès que de rapidité. Il observait la diète la plus austère ; ses prières étaient longues et ferventes, et il distribuait d’une main les aumônes qu’il recevait de l’autre. La tête chauve et les pieds nus, son corps maigre enveloppé d’une robe grossière, Pierre portait et présentait aux passans un pesant crucifix ; la foule qui l’écoutait respectait jusqu’à l’âne sur lequel l’ermite était monté comme le serviteur de l’homme de Dieu ; il prêchait dans les églises, dans les rues et sur les grands chemins l’innombrable multitude qui se pressait autour de lui, et se présentait, avec une assurance égale, dans les palais et dans les chaumières. Sa voix véhémente entraînait rapidement le peuple, et tout était peuple alors : Pierre les appelait dévotement aux armes et au repentir. Lorsqu’il peignait les souffrances des habitans et des pèlerins de la Palestine, la compassion passait dans tous les cœurs ; et elle se changeait en indignation quand il sommait les guerriers du siècle de défendre leurs frères et de délivrer leur Sauveur. Compensant le défaut d’art et d’éloquence par des soupirs, des larmes et des élans de ferveur, Pierre suppléait aussi à la faiblesse de ses argumens par de bruyans et fré-