Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 11.djvu/272

Cette page a été validée par deux contributeurs.

lui remit, à son départ, des lettres de créance dans lesquelles il peignait les maux des chrétiens. À peine l’ermite avait pris terre à Bari, qu’il courut, sans perdre un instant, se jeter aux pieds du pontife romain. La petite taille de Pierre et son maintien ignoble n’étaient pas propres à en imposer ; mais il avait l’œil vif et perçant, et possédait cette véhémence d’élocution qui entraîne presque toujours la persuasion[1]. Né d’une famille de gentilshommes (car il faut maintenant nous servir de l’idiome moderne), il servit d’abord sous les comtes de Boulogne, seigneurs de son voisinage et les héros de la première croisade ; mais il se dégoûta bientôt des armes et du monde ; et si, comme on l’a dit, sa femme, bien que noble, se trouvait être vieille et laide, on conçoit qu’il put, sans beaucoup de répugnance, la quitter pour se retirer dans un couvent, et peu de temps après dans un ermitage. La pénitence austère qu’il s’imposa dans cette solitude, affaiblit son corps et échauffa son imagination. Tout ce qu’il désirait, il le croyait ; et tout ce qu’il croyait, ses songes et ses révélations lui en présentaient la réalité. Pierre l’ermite revint de Jérusalem complètement fanatique ;

  1. Guillaume de Tyr (l. I, c. 11, p. 637, 638) représente ainsi l’ermite : Pusillus, personna contemptibilis, vivacis ingenii, et oculum habens perspicacem gratumque, et sponte fluens ei non deerat eloquium. (Voy. Albert d’Aix, p. 185 ; Guibert, p. 482 ; Anne Comnène, in Alex., l. X, p. 284, etc., et les Notes de Ducange, p. 349.)