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cet objet l’opinion de ce même Abdalrahman, dont la magnificence a peut-être excité notre admiration et notre envie, et de rapporter un écrit de sa main, trouvé dans son cabinet après sa mort. « J’ai maintenant régné plus de cinquante ans, toujours victorieux ou en paix ; j’étais chéri de mes sujets, redouté de mes ennemis, et respecté de mes alliés. J’ai obtenu au gré de mes désirs la richesse et les honneurs, la puissance et le plaisir, et il semble que rien sur la terre n’a dû manquer à ma félicité. Dans cette situation, j’ai compté avec soin les jours de bonheur véritable qui ont été mon partage ; ils se montent à quatorze… Ô homme ! ne place pas ta confiance dans ce monde[1]. » Le luxe des califes, si inutile à leur bonheur privé, affaiblit la vigueur et mit des bornes à l’agrandissement de l’empire des Arabes. Les premiers califes ne s’étaient occupés que de conquêtes

  1. Cardonne, t. I, p. 329, 330. Les détracteurs de la vie humaine citeront d’un air triomphant cet aveu, les complaintes de Salomon sur les vanités de ce monde (voyez le poëme verbeux mais éloquent de Prior) et les dix jours heureux de l’empereur Seghed (Rambler, nos 204, 205) ; leurs projets sont d’ordinaire immodérés, et leur évaluation rarement impartiale. Si je puis parler de moi (le seul homme dont je puisse parler avec certitude), mes journées de bonheur ont excédé de beaucoup le petit nombre que nous indique le calife d’Espagne, et elles continuent encore ; et je ne craindrai pas d’ajouter que le plaisir que je trouve à la composition de cet Ouvrage, joue un grand rôle dans le calcul de mes journées heureuses.