Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 10.djvu/30

Cette page a été validée par deux contributeurs.

le peuple dans les grandes occasions ; et puisqu’on ne peut mener le genre humain que par la force ou la persuasion, l’usage et la célébrité de l’art oratoire chez les Arabes, est la preuve la plus claire de leur liberté publique[1]. Mais le simple édifice de leur liberté était bien différent de la structure délicate et artificielle des républiques grecques et romaines, où chaque citoyen avait une part indivise des droits civils et politiques de la communauté. Dans un état de société beaucoup moins compliqué, la nation arabe jouit de la liberté, parce que chacun de ses enfans dédaigne de se soumettre lâchement à la volonté d’un maître. Le cœur de l’Arabe est armé des austères vertus du courage, de la patience et de la sobriété : l’amour de l’indépendance lui fait contracter l’habitude d’un grand empire sur lui-même, et la crainte du déshonneur éloigne de lui la crainte pusillanime de la fatigue, du danger et de la mort. Son maintien annonce la gravité de son esprit ; il parle avec lenteur, son discours a du poids et de la concision ; il rit peu et n’a d’autre geste que celui de caresser sa barbe, respectable symbole de la virilité ; rempli du sentiment de son importance, il aborde ses égaux

  1. Non gloriabantur antiquitius Arabes, nisi gladio, hospite, et eloquentia (Sephadius, apud Pococke, Specimen, p. 161, 162). Ils ne partageaient qu’avec les Perses ce don de la parole ; et les sentencieux Arabes auraient vraisemblablement dédaigné la dialectique simple et sublime de Démosthènes.