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reste de ses compatriotes, et dans ses heures de loisir, il se plaisait à converser avec Jean, disciple d’Ammonius, qu’une étude assidue de la grammaire et de la philosophie, avait fait surnommer Philoponus[1]. Enhardi par cette familiarité, Philoponus osa solliciter un don inestimable à ses yeux, méprisable à ceux des Barbares ; il demanda la Bibliothéque royale, qui était la seule des dépouilles d’Alexandrie où l’on n’eût pas apposé le sceau du vainqueur. Amrou était disposé à satisfaire le grammairien ; mais sa scrupuleuse intégrité ne voulait pas aliéner la moindre chose sans l’aveu du calife ; et la réponse bien connue d’Omar, peint bien toute l’ignorance du fanatisme : « Si les écrits des Grecs sont d’accord avec le Koran, ils sont inutiles et il ne faut pas les garder ; s’ils s’en écartent, ils sont dangereux et on doit les brûler. » Cet arrêt fut exécuté avec une aveugle soumission ; les volumes en papier ou en parchemin furent distribués aux quatre mille bains de la ville ; et tel était leur incroyable nombre, que six mois suffirent à peine pour les consumer tous.

  1. Il nous reste plusieurs Traités de cet amant du travail (φιλοπονος) ; mais on ne lit pas plus ceux qui sont imprimés que ceux qui n’ont jamais été publiés : Moïse et Aristote sont les principaux objets de ses verbeux Commentaires : il y en a un qui porte la date du 10 mai, A. D. 617 (Fabricius, Bibl. græc., t. IX, p. 458-468). Un moderne (Jean-le-Clerc), qui prenait quelquefois le même nom, était aussi laborieux que le Philoponus d’Amrou, mais il lui était fort supérieur en bon sens et en véritables lumières.