Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 10.djvu/254

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Trois siècles avant l’ère chrétienne, le mémorable et infructueux siége de Rhodes[1] par Démétrius, avait fourni à cette république le sujet et la matière d’un trophée : elle avait élevé à l’entrée de son port une statue colossale d’Apollon ou du Soleil : ce noble monument de la liberté et des arts de la Grèce avait soixante-dix coudées de hauteur. Le colosse de Rhodes subsistait depuis cinquante-six ans, lorsqu’il fut renversé par un tremblement de terre ; son énorme tronc et ses vastes débris demeurèrent huit siècles épars sur la terre, et on les a décrits souvent comme une des merveilles de l’ancien monde. Les Sarrasins, après les avoir rassemblés, les vendirent à un marchand juif d’Édesse, qui, dit-on, y trouva assez d’airain pour charger neuf cents chameaux ; poids qui paraît bien considérable, lors même qu’on y comprendrait les cent figures colossales[2] et les

  1. Tous les passages et tous les faits relatifs à l’île, à la ville et au colosse de Rhodes, ont été recueillis dans le laborieux Traité de Meursius, qui s’est livré aux mêmes recherches sur les îles de Crète et de Chypre. (Voyez dans le troisième volume de ses ouvrages le Traité appelé Rhodus l. I, c. 15, p. 715-719.) L’ignorance de Théophane et de Constantin, écrivains de l’histoire byzantine, porte à treize cent soixante ans l’espace de temps qui s’écoula entre la chute du colosse de Rhodes, et la vente de ses débris par les Sarrasins, et ils assurent ridiculement que ces débris firent la charge de trente mille chameaux.
  2. Centum colossi alium nobilitaturi locum, dit Pline, avec son esprit ordinaire (Hist. natur., XXXIV, 18).