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Quand j’aurais vécu dans l’intimité du fils d’Abdallah, la tâche serait difficile et le succès incertain ; mais après douze siècles, les traits de ce prophète s’offrent confusément à moi à travers un religieux nuage d’encens ; et si je venais à bout de les saisir pour un moment, cette ressemblance incertaine ne conviendrait pas également au solitaire du mont Hera, au prédicateur de la Mecque et au vainqueur de l’Arabie. Cet homme destiné à devenir l’auteur d’une si grande révolution, était né, à ce qu’il paraît, avec un penchant à la piété et à la contemplation : du moment où son mariage l’eut mis au-dessus du besoin, il évita la route de l’ambition et de l’avarice ; il vécut dans l’innocence jusqu’à l’âge de quarante ans, et s’il fût mort à cette époque de sa vie, il n’aurait eu aucune célébrité. L’unité de Dieu est une idée très-conforme à la nature et à la raison, et une seule conversation avec des Juifs et des chrétiens put lui apprendre à mépriser et à détester l’idolâtrie de la Mecque. Il était du devoir et d’un homme et d’un citoyen de publier la doctrine du salut et d’arracher son pays au péché et à l’erreur. Il est aisé de concevoir qu’un esprit fortement occupé sans cesse d’un même objet, put convertir une obligation générale en une mission particulière, et regarder comme des inspirations du ciel les ardentes conceptions de son imagination ; que le travail de la pensée ait pu le conduire à une espèce de ravissement et de vision, et qu’ensuite il ait représenté ses sensations intérieures et son guide invisible sous la forme et les attributs d’un ange de