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ET LE CARACTÈRE DE GIBBON

tutions, que quelquefois, en plaisantant à la vérité, il s’amusait à défendre l’inquisition.

Il avait reçu, en 1791, à Lausanne, une visite du lord Sheffield accompagné de sa famille ; il avait promis de la lui rendre promptement en Angleterre ; cependant les troubles de la révolution toujours croissans, et la guerre qui rendait toutes les routes dangereuses, son énorme grosseur, et des incommodités long-temps négligées, qui tous les jours lui rendaient le mouvement plus difficile, lui faisaient remettre de mois en mois cette effrayante entreprise ; mais enfin, en 1793, sur la nouvelle de la mort de lady Sheffield, qu’il aimait tendrement et qu’il appelait sa sœur, il partit sur-le-champ pour aller consoler son ami, au mois de novembre de cette année. Six mois environ après son arrivée en Angleterre, ces incommodités, dont l’origine remontait, à ce qu’il paraît, à plus de trente ans, s’accrurent à un tel point qu’elles l’obligèrent à subir une opération, qui, plusieurs fois renouvelée, lui laissa l’espérance de la guérison jusqu’au 16 janvier 1794, qu’il mourut sans inquiétude comme sans douleur.

Gibbon laissa une mémoire chère à ceux qui l’ont connu, et une réputation établie dans toute l’Europe. Son Histoire de la Décadence et de la Chute de l’Empire romain peut, dans quelques parties négligées, laisser trop voir la fatigue d’un si long travail : on peut y désirer un peu plus de cette vivacité d’imagination qui transporte le lecteur au milieu des scènes qu’on lui décrit, de cette chaleur de sentiment qui l’y place, pour ainsi dire, comme acteur avec ses passions et ses intérêts personnels ; on y peut trouver l’impartialité entre la vertu et le vice poussés quelquefois trop loin, et regretter que cette pénétration ingénieuse, qui décompose et démêle si bien les diverses parties des faits, n’ait pas plus souvent laissé la place à ce génie vraiment philosophique qui les