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NOTICE SUR LA VIE

aimait à les faire jouir de ses solides agrémens, et dont l’âme honnête et modérée, si elle n’a pas donné beaucoup de chaleur à son esprit, n’en a presque jamais du moins obscurci les vives lumières.

La tranquillité d’âme de Gibbon fut cependant troublée, dans les dernières années de sa vie, par le spectacle de notre révolution, contre laquelle, après quelques momens d’espérance, il se tourna avec une telle chaleur, qu’aucun de ceux que nos troubles avaient chassés de la France et qui le virent à Lausanne ne pouvaient égaler sa vivacité à cet égard. Il s’était pendant quelque temps brouillé avec M. Necker ; mais la connaissance qu’il avait du caractère et des intentions de cet homme vertueux, ses malheurs et les sentimens de douleur qu’il partageait avec Gibbon sur les maux de la France, renouèrent bientôt les liens de leur ancienne amitié. L’effet de la révolution avait été pour lui ce qu’il a été pour beaucoup d’hommes éclairés, sans doute, mais qui avaient écrit d’après leurs réflexions plutôt que d’après une expérience qu’ils ne pouvaient avoir ; elle le fit revenir avec exagération sur des opinions qu’il avait long-temps soutenues. « J’ai pensé quelquefois, dit-il dans ses Mémoires, à l’occasion de la révolution, à écrire un Dialogue des Morts, dans lequel Voltaire, Érasme et Lucien se seraient mutuellement avoués combien il est dangereux d’exposer une ancienne superstition au mépris d’une multitude aveugle et fanatique. » C’est sûrement en sa qualité de vivant que Gibbon ne se serait pas mis en quatrième dans le Dialogue et dans les aveux. Il soutenait alors n’avoir attaqué le christianisme que parce que les chrétiens détruisaient le polythéisme, qui était l’ancienne religion de l’empire. « L’Église primitive, écrit-il au lord Sheffield, dont j’ai parlé un peu familièrement, était une innovation, et j’étais attaché à l’ancien établissement du paganisme. » Il aimait tellement à professer son respect pour les anciennes insti-