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ET LE CARACTÈRE DE GIBBON

plaisir à la bonté de la nature, qui a placé ma naissance dans un pays libre et civilisé, dans un âge de science et de philosophie, dans une famille d’un rang honorable, et suffisamment pourvue des dons de la fortune. » Il se félicite ailleurs de la modicité de cette fortune, qui l’a mis dans la situation la plus propice pour acquérir par son travail une réputation honorable ; « car, dit-il, la pauvreté et les mépris auraient abattu mon courage ; et les soins de l’abondance d’une fortune supérieure à mes besoins auraient pu relâcher mon activité. » Il se félicite de sa santé, qui, toujours bonne depuis qu’il avait échappé aux périls de son enfance, ne lui avait jamais fait connaître l’intempérance d’un excès de santé (the madness of a superfluous health). Il jouit avec effusion du bonheur que lui a donné son travail pendant vingt ans ; il jouit avec simplicité des fruits qu’il en a retirés. Enfin, comme tout ajoute au bonheur d’une situation qui plaît, après avoir supporté patiemment, sans doute, celle de lord of trade, une fois arrivé à Lausanne, il ne peut assez exprimer le bonheur qu’il éprouve d’être échappé à son esclavage.

Ses Mémoires et les Lettres, presque toutes adressées au lord Sheffield, qui en sont la suite, intéressent par cette expression d’un caractère disposé à la bienveillance, suite nécessaire de la modération et de la facilité, et d’un sentiment, sinon très-tendre, du moins très-affectueux envers ceux avec qui il est lié par les nœuds du sang ou de l’amitié : cette affection s’exprime avec peu de vivacité, mais d’une manière naturelle et vraie. La longue et étroite amitié qui l’unit avec le lord Sheffield et avec M. Deyverdun, est une preuve de l’attachement qu’il était capable de sentir et d’inspirer, et l’on conçoit sans peine que l’on pût s’attacher solidement à un homme dont le cœur sans passion versait dans la société de ses amis tout ce qu’il possédait de sensibilité ; dont l’esprit