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NOTICE SUR LA VIE

orgueil se calmèrent bientôt, et des sentimens moins tumultueux et plus mélancoliques s’emparèrent de mon âme, lorsque je songeai que je venais de prendre congé de l’ancien et agréable compagnon de ma vie ; et que, quel que fût un jour l’âge où parviendrait mon histoire, les jours de l’historien ne pourraient être désormais que bien courts et bien précaires. » Cette idée ne pouvait affecter bien long-temps un homme en qui le sentiment de la santé et le calme de l’imagination entretenaient une sorte de certitude de la vie, et qui, dans ses derniers momens encore, calculait avec complaisance le nombre d’années que, selon les probabilités, il lui restait à vivre. Occupé de jouir du résultat de ses travaux, il passa en Angleterre cette même année, pour y livrer à l’impression les derniers volumes de son Histoire. Le séjour qu’il y fit contribua encore à lui faire chérir la Suisse. Sous George Ier et George II, le goût des lettres et des talens s’était éteint à la cour. Le duc de Cumberland, au lever duquel Gibbon se rendit un jour, l’accueillit par cette apostrophe : « Hé bien ! M. Gibbon, vous écrivaillez donc toujours (what, M. Gibbon, still scribble, scribble!) » Aussi fut-ce avec peu de regret qu’il quitta sa patrie au bout d’un an pour revenir à Lausanne, où il se plaisait, et où il était aimé. Il devait l’être de ceux qui, vivant avec lui, avaient pu jouir des avantages de son caractère facile, parce qu’il était heureux. Ne portant jamais ses désirs au-delà de la raison, il n’était jamais mécontent des hommes ni des choses. Il se rend souvent compte de sa situation avec une satisfaction qui tient à la modération de son caractère.

… Je suis Français, Tourangeau, gentilhomme,
J’aurais pu naître Turc, Limousin, paysan,


dit l’Optimiste. Gibbon dit de même dans ses Mémoires : « Ma place dans la vie pouvait être celle d’un esclave, d’un sauvage, ou d’un paysan ; et je ne puis songer sans