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NOTICE SUR LA VIE

rance de la langue française, qu’on parlait à Lausanne, mis à la gêne par la modicité de la pension à laquelle l’avait réduit le mécontentement de son père, exposé à toutes sortes de privations par l’avarice de madame Pavilliard, femme du ministre, qui le faisait mourir de faim et de froid, il sentit s’amollir la généreuse ardeur avec laquelle il avait espéré d’abord se sacrifier à la cause qu’il embrassait, et chercha de bonne foi des argumens qui pussent le ramener à une croyance moins pénible à soutenir. Il est rare qu’en fait d’argumens on cherche inutilement ce qu’on désire ardemment de trouver. Le ministre Pavilliard s’applaudissait de ses progrès sur l’esprit de son cathécumène qui l’aidait de ses propres réflexions, et qui fait mention du transport dont il se sentit saisi, en découvrant, par ses propres lumières, un argument contre la transsubstantiation. Cet argument amena sa rétractation, qui fut faite, d’aussi bon cœur et d’aussi bonne foi, à Noël 1754, que l’avait été dix-huit mois auparavant son abjuration. Gibbon avait alors dix-sept ans et demi : ces variations, qui dans un âge plus avancé annonceraient un esprit léger et irréfléchi, ne prouvent, à celui qu’il avait alors, qu’une imagination mobile et un esprit avide de la vérité, mais qu’on avait laissé se dépouiller trop tôt peut-être de ces préjugés, sauvegarde d’un âge où les principes ne peuvent encore être fondés sur la raison. « Ce fut alors, dit Gibbon en rappelant cet événement, que je suspendis mes recherches théologiques, me soumettant avec une foi implicite aux dogmes et aux mystères adoptés par le consentement général des catholiques et des protestans. » Un passage si rapide d’une opinion à l’autre avait déjà, comme on le voit, ébranlé sa conviction sur toutes les deux. L’expérience de ces argumens adoptés d’abord avec tant de confiance et rejetés ensuite, devait lui laisser une grande disposition à douter des argumens qui lui paraissaient à lui-même les plus solides,