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DE L’EMPIRE ROMAIN. CHAP. VI.

de ce mariage, et devaient un jour gouverner l’univers. Les idées magnifiques que Sévère et ses sujets s’étaient formées, en voyant s’élever ces appuis du trône, furent bientôt détruites. Les enfans de l’empereur passèrent leur jeunesse dans l’indolence, si ordinaire aux princes destinés à porter la couronne, et qui présument que la fortune leur tiendra lieu de mérite et d’application. [Leur aversion mutuelle.]Sans aucune émulation de talens ou de vertu, ils conçurent l’un pour l’autre, dès leur enfance, une haine implacable. Leur aversion éclata presque dans le berceau ; elle s’accrut avec l’âge, et, fomentée par des favoris intéressés à la perpétuer, elle donna naissance à des querelles plus sérieuses ; enfin, elle divisa le théâtre, le cirque et la cour en deux factions, sans cesse agitées par les espérances et par les craintes de leurs chefs respectifs. L’empereur mit en œuvre tout ce que lui suggéra sa prudence, pour étouffer cette animosité dans son origine. Il employa tour à tour les conseils et l’autorité : la malheureuse antipathie de ses enfans obscurcissait l’avenir brillant qui s’était offert à ses yeux, et lui faisait craindre la chute d’un trône élevé à travers mille dangers, cimenté par des flots de sang, et soutenu par tout ce que pouvait donner de sécurité la force militaire, accompagnée d’immenses trésors. Dans la vue de tenir entre eux la balance toujours égale, il donna aux deux frères le titre d’Auguste et le nom sacré d’Antonin. Rome fut gouvernée, pour la première fois, par trois empe-