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DE L’EMPIRE ROMAIN. CHAP. V.

appelaient un candidat à l’empire, de tous ceux qui s’enrôlaient sous ses étendards, quelques-uns le servaient par affection, d’autres par crainte, le plus grand nombre par intérêt, aucun par principe. Les légions, dénuées de tout attachement de parti, se jetaient indifféremment dans les guerres civiles, d’un côté ou de l’autre, déterminées par des présens magnifiques et des promesses encore plus libérales ; un échec qui ôtait au général les moyens de remplir ses engagemens, les relevait en même temps de leur serment de fidélité. Ces mercenaires, empressés d’abandonner une cause malheureuse, ne trouvaient de sûreté que dans une prompte désertion. Au milieu de tous ces troubles, il importait peu aux provinces au nom de qui elles fussent gouvernées ou opprimées. Entraînées par l’impulsion d’une puissance directe, dès que ce mouvement venait se briser contre une force supérieure, elles se hâtaient de recourir à la clémence du vainqueur, qui, pour acquitter des dettes exorbitantes, sacrifiait les provinces les plus coupables à l’avarice des soldats. Dans l’immense étendue de l’empire, les villes, sans défense pour la plupart, n’offraient point d’asile aux débris d’une armée en déroute. Enfin, il n’existait aucun homme, aucune famille, aucun ordre de citoyens, dont le crédit particulier eût été capable de rétablir la fortune d’un parti expirant sans être soutenu de l’influence puissante du gouvernement[1].

  1. Montesquieu, Considérations sur la grandeur et la décadence des Romains, c. 12.