Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 1.djvu/294

Cette page a été validée par deux contributeurs.
286
HISTOIRE DE LA DÉCADENCE

ment : cependant, tolérées en quelque sorte dans le cours des affaires publiques, elles ne nous présentent pas alors la même idée de bassesse. Dans le simple particulier, elles sont la preuve d’un manque de courage personnel ; dans l’homme d’état, elles indiquent seulement un défaut de pouvoir. Comme il est impossible au plus grand génie de subjuguer par sa propre force des millions de ses semblables, le monde paraît lui accorder la permission d’employer librement, sous le nom de politique, la ruse et la finesse. Mais les artifices de Sévère ne peuvent être justifiés par les priviléges les plus étendus de la raison d’état. Ce prince ne promit que pour trahir, ne flatta que pour perdre ; et quoique, selon les circonstances, il se trouvât lié par des traités et par des sermens, sa conscience, docile à la voix de son intérêt, le dispensa toujours de remplir des obligations gênantes[1].

Envers Niger.

Si ses deux compétiteurs, réconciliés par un danger commun, se fussent avancés contre lui sans délai, peut-être Sévère aurait-il succombé sous leurs efforts réunis. S’ils l’eussent attaqué en même temps, avec des vues différentes et des armées séparées, la victoire aurait pu devenir longue et douteuse ; mais attirés dans le piège d’une sécurité funeste par la modération affectée d’un adroit ennemi, et déconcertés par la rapidité de ses exploits, ils tombèrent successivement victimes de ses armes et de ses arti-

  1. Hérodien, l. II, p. 85.