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DE L’EMPIRE ROMAIN. CHAP. V.

machine. Une seule réflexion suffit pour démontrer la vérité de cette remarque. En vain la nature, l’art et l’expérience donneraient à un homme une force extraordinaire, des armes excellentes, une adresse merveilleuse ; malgré sa supériorité, il ne sera jamais en état de tenir perpétuellement dans la soumission une centaine de ses semblables. Le tyran d’une seule ville ou d’un domaine borné, s’apercevra bientôt que cent soldats armés sont une bien faible défense contre dix mille paysans ou citoyens ; mais cent mille hommes de troupes réglées et bien disciplinées, commanderont avec un pouvoir despotique dix millions de sujets, et un corps de dix ou quinze mille gardes imprimera la terreur à la populace la plus nombreuse d’une capitale immense.

Gardes prétoriennes ; leur institution.

Tel était à peine le nombre de ces gardes prétoriennes[1], dont l’extrême licence fut une des principales causes et le premier symptôme de la décadence de l’empire. Leur institution remontait à l’empereur Auguste. Ce tyran astucieux, persuadé que les lois pouvaient colorer une autorité usurpée, mais que les armes seules la soutiendraient, avait formé par degrés ce corps redoutable de gardes prêts à défen-

  1. Leur nombre était originairement de neuf ou dix mille hommes (car Dion et Tacite ne sont pas d’accord à cet égard) divisés en autant de cohortes. Vitellius le porta à seize mille ; et, autant que les inscriptions peuvent nous en instruire, ce nombre, par la suite, ne fut jamais beaucoup moins considérable. Voyez Juste-Lipse, De magnutidine romanâ, I, 4.