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HISTOIRE DE LA DÉCADENCE

Cléandre, ministre.

Les princes soupçonneux donnent souvent leur confiance aux derniers de leurs sujets, dans cette fausse persuasion que des hommes sans appui, et tirés tout à coup d’un état vil, seront entièrement dévoués à la personne de leur bienfaiteur. Cléandre, successeur de Perennis, avait pris naissance en Phrygie ; il était d’une nation dont le caractère vil et intraitable ne pouvait être soumis que par les traitemens les plus durs[1]. Envoyé à Rome comme esclave, il servit d’abord dans le palais impérial, et s’y rendit bientôt nécessaire à son maître en flattant ses passions. Enfin, il monta rapidement au premier rang de l’empire ; son influence sur l’esprit de Commode fut encore plus grande que celle de son prédécesseur. En effet, Cléandre n’avait aucun de ces talens capables d’exciter la jalousie de l’empereur, ou de lui inspirer de la méfiance. [Son avarice et sa cruauté.]L’avarice était la passion dominante de cette âme vile, et le grand principe de son administration. On vendait publiquement les dignités de consul, de patricien et de sénateur. Un citoyen sacrifiait la plus grande partie de sa fortune pour obtenir ces vains honneurs[2]. Son refus de les acheter aurait été interprété comme une marque secrète de mécontentement. Dans les provinces, le ministre partageait avec les gouverneurs les dépouilles du peuple ; l’administration de la justice était vénale et

  1. Cicéron, pro Flacco, c. 27.
  2. Une de ces promotions si dispendieuses donna lieu à un bon mot : on disait que Julius-Solon était exilé dans le sénat.