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DE L’EMPIRE ROMAIN. CHAP. III.

les décrets du monarque, et qui faisait indignement servir sa puissance aux entreprises méprisables du despotisme. Tibère et les empereurs qui marchèrent sur ses traces, cherchèrent à couvrir leurs forfaits du voile de la justice : peut-être goûtaient-ils un plaisir secret à rendre le sénat complice aussi-bien que victime de leur cruauté. On vit dans ce sénat les derniers des Romains, condamnés pour des crimes imaginaires et pour des vertus réelles : leurs infâmes accusateurs prenaient le langage de zélés patriotes, qui auraient cité devant le tribunal de la nation un citoyen dangereux. Un service aussi important était récompensé par les richesses et par les honneurs[1]. Des juges serviles prétendaient ainsi rendre hommage à la majesté de la république, violée dans la personne de son premier magistrat[2] : ils vantaient la clémence de ce chef su-

  1. Ils alléguaient l’exemple de Scipion et de Caton (Tacite, Annal., III, 66). Marcellus-Epirus et Crispus-Vibius gagnèrent, sous le règne de Néron, deux millions et demi sterl. Leurs richesses, qui aggravaient leurs crimes, les protégèrent sous Vespasien. Voyez Tacite, Hist., IV, 43, Dialog. de Orat., c. 8. Regulus, l’objet des justes satires de Pline, reçut du sénat, pour une seule accusation, les ornemens consulaires et un présent de soixante milles livres st.
  2. L’accusation du crime de lèse-majesté s’appliquait originairement au crime de haute trahison contre le peuple romain : comme tribuns du peuple, Auguste et Tibère l’appliquèrent aux offenses contre leurs personnes, et ils y donnèrent une extension infinie (*).
    (*) C’est Tibère et non Auguste qui prit le premier dans ce sens les