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DE L’EMPIRE ROMAIN. CHAP. II.

secrètement un objet de mépris aux yeux des classes éclairées de la société[1].

Malgré l’esprit d’irréligion qui s’était introduit dans le siècle des Antonins, on respectait encore l’intérêt des prêtres et la crédulité du peuple. Les philosophes, dans leurs écrits et dans leurs discours, soutenaient la dignité de la raison, mais ils soumettaient en même temps leurs actions à l’empire des lois et de la coutume. Remplis d’indulgence pour ces erreurs qui excitaient leur pitié, ils pratiquaient avec soin les cérémonies de leurs ancêtres, et on les voyait fréquenter les temples des dieux ; quelquefois même ils ne dédaignaient pas de jouer un rôle sur le théâtre de la superstition, et la robe d’un pontife cachait souvent un athée.

Avec de pareilles dispositions, les sages de l’antiquité étaient bien éloignés de vouloir s’engager dans aucune dispute sur les dogmes et les différens cultes du vulgaire. Ils voyaient avec la plus grande indifférence les formes variées que prenait l’erreur pour en imposer à la multitude, et ils s’approchaient avec le même respect apparent et le même mépris secret des autels du Jupiter Libyen, de ceux du Jupiter Olympien, ou de ceux du Jupiter qu’on adorait au Capitole[2].

Il est difficile d’imaginer comment l’esprit de per-

  1. Je ne prétends pas assurer que, dans ce siècle irréligieux, la superstition eût perdu son empire, et que les songes, les présages, les apparitions, etc., n’inspirassent plus de terreur.
  2. Socrate, Épicure, Cicéron et Plutarque, ont tou-