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Instruite par mes propres sentiments de ceux que la vue des femmes fait réciproquement naître dans le cœur des hommes, je joignis à mes charmes tous les petits agréments dont l’envie de plaire a inventé l’usage. Se pincer les lèvres avec grâce, sourire mystérieusement, jeter des regards curieux, modestes, amoureux, indifférents ; affecter de ranger, de déranger son fichu, pour faire fixer les yeux sur sa gorge ; en précipiter adroitement les mouvements, se baisser, se relever, je possédais ces petits talents dans le dernier degré de la coquetterie ; je m’y exerçais continuellement ; mais, ici, c’était les posséder en pure perte. Mon cœur soupirait après la présence de quelqu’un qui connût le prix de mon savoir et qui me fit connaître l’effet qu’il aurait produit sur lui.

Continuellement à la grille, j’attendais que mon bonheur m’envoyât ce que je souhaitais depuis longtemps inutilement : je me faisais l’amie de toutes les pensionnaires que les frères venaient voir. En demandait-on quelqu’une, je ne manquais pas de passer sans affectation devant le parloir : on m’appelait, j’y courais, et j’ose dire que ceux que j’y trouvais ne me voyaient pas impunément.

J’y examinais un jour un beau garçon dont les yeux noirs et vifs me rendaient avec usure mes regards. Un sentiment délicat et piquant, détaché même du plaisir ordinaire que la présence des hommes me procurait, fixait agréablement mon attention sur lui. L’opiniâtreté de mes regards