Page:Gervaise de Latouche - Le Portier des Chartreux, 1889.djvu/219

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne s’oppose à notre bonheur ! — Rien ne s’oppose à notre bonheur ? reprit-elle ; ah ! que ne dis-tu vrai ? Dans le moment je la vis en pleurs : je la pressai de m’en expliquer la cause. — Voudrais-tu, me dit-elle, partager avec moi le triste prix de mon libertinage ? Quand tu le voudrais, aurais-je la cruauté d’y consentir ? — Tu crois, lui répondis-je, m’arrêter par une raison aussi faible ? Je partagerais la mort avec ma Suzon, et je craindrais de partager ses malheurs ? Sur-le-champ je la renverse sur le lit et veux lui prouver que je ne crains pas le danger. — Ah ! cher Saturnin, s’écria-t-elle, tu vas te perdre ! — Je me perdrai, lui dis-je, transporté d’amour, mais ce sera dans tes bras ! Elle cède, je pousse… Qu’on me permette d’imiter ici ce sage Grec qui, peignant le sacrifice d’Iphigénie, après avoir épuisé sur le visage des assistants tous les traits qui caractérisaient la douleur la plus profonde, couvrit celui d’Agamemnon d’un voile, laissant habilement aux spectateurs le plaisir d’imaginer quels traits pouvaient caractériser le désespoir d’un père tendre qui voit répandre son sang, qui voit immoler sa fille. Je vous laisse, cher lecteur, le plaisir d’imaginer ; mais c’est à vous que je m’adresse, vous qui avez éprouvé les traverses de l’amour, et qui, après un long temps, avez vu votre passion couronnée par la jouissance de l’objet aimé. Rappelez-vous vos plaisirs, poussez votre imagination encore plus loin s’il est pos-