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pour opposer mon dégoût à ses ordres, je ne fis parler que mes larmes ; elles ne l’attendrirent pas, je pris le voile. Le moment fatal de prononcer l’arrêt de ma mort approchait : je frémis à la vue du serment que j’allais faire. L’horreur de ma prison, le désespoir d’être privée de mon unique bien, me plongèrent dans une maladie qui aurait terminé mes peines, si ma mère, touchée de mon état, ne s’était reproché sa dureté. Elle était pensionnaire dans le couvent où elle voulait que je prisse l’habit. Un projet de retraite l’y avait amenée ; mais la réflexion l’en retira. Les femmes ne renoncent pas au plaisir, ne vieillissent pas sans chagrin ; c’est un sentiment naturel que leurs efforts peuvent bien dissimuler, mais qu’ils n’arracheront jamais de leur cœur. Ma mère, jugeant de mon tempérament par le sien, me tira de mon cachot, et reparut dans le monde sur le pied d’une dame qui se consolerait aisément de la perte du défunt dans les bras d’un cinquième mari.

Connaissant le génie de ma mère, je jugeai qu’il serait dangereux de me trouver en rivalité avec elle, certaine qu’un amant qui se présenterait me préférerait à elle. Je compris que les plaisirs de l’amour goûtés dans le mystère en étaient plus piquants, que la retraite me les procurait ainsi que le grand monde. J’agis d’après ce système, et je passai bientôt pour une dévote. Charmée du progrès de mon stratagème, je ne songeai qu’à nouer quelque intrigue secrète à l’ombre de