giner quels traits pouvoient caractériſer
le déſeſpoir d’un Pere tendre qui
voit repandre ſon ſang, qui voit immoler
ſa fille. Je vous laiſſe, cher Lecteur,
le plaiſir d’imaginer ; mais c’eſt à
vous que je m’adreſſe, vous qui avés
éprouvés les traverſes de l’amour, &
qui, aprés un long-tems, avés vû votre
paſſion couronnée par la joüiſſance
de l’objet aimé : rapellés-vous vos plaiſirs,
pouſſés votre imagination encore
plus loin, s’il eſt poſſible, elle demeurera
toûjours au-deſſous de mes
délices ; mais quel démon jaloux de
ma tranquillité me preſente ſans ceſſe
un ſouvenir que j’arroſe de larmes de
ſang ? Ah, finiſſons, je ſuccombe à
ma douleur !
Le jour vint avant que nous nous fuſſions aperçûs que la nuit avoit diſparuë. Dans les bras de Suzon, que je n’avois pas quittée depuis que nous étions couchés, j’avois oubliés mes chagrins, j’avois oublié l’univers entier. Ne nous quittons jamais, mon cher Frere, me diſoit-elle : où trouverois-tu une fille plus tendre, où trouverois-je un Amant plus paſſionné ? Je lui jurois de vivre toûjours avec elle : je le lui jurois, hélas ! & nous allions nous