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Portier des Chartreux.


mon ſort : la miſere me tint lieu de penchant.

N’en exige pas davantage : la vie de ta malheureuſe Suzon n’a plus été qu’un enchantement de plaiſirs & de chagrins ou plû-tôt que des chagrins continuels. Si le plaiſir s’eſt fait ſentir quelquefois à mon cœur, il n’a fait que colorer le fond de triſteſſe qui le rongeoit : ceſſera-t’elle cette triſteſſe ? Ah, puiſque je te retrouve, je ne dois plus me plaindre ; mais toi, mon cher Frere, ne me fais pas languir, es-tu ſorti de ton Couvent ? Quel hazard te conduit à Paris ? Un malheur ſemblable au tien, lui repondis-je, & que m’a cauſé ta meilleure amie : ma meilleure amie, reprit-elle en ſoupirant, en ai-je encore dans le monde ? Ah, ce ne peut être que la Sœur Monique ! Elle-même, lui repliquai-je ; mais ce récit nous tiendroit trop de tems : ſoupons.

Je fis à côté de Suzon le repas le plus délicieux de ma vie ; mais l’envie de me voir ſeul avec elle, & de ſon côté celle d’aprendre mes avantures, nous fit ſortir promptement de table. Nous nous retirâmes dans ſa chambre, ou, ſans témoin, ſur un lit, digne meuble de l’endroit où nous étions, & qui aſ-