Page:Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux, 1741.djvu/325

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
283
Portier des Chartreux.


douleur, & de ne laiſſer paroître ſur mon viſage qu’une indifference qui rendoit mes peines plus cruelles. Je n’y pû pas reſiſter ; j’étois furieuſe contre ma mere, j’étois furieuſe contre moi-même, mon amour étoit devenu capable de tout entreprendre. On ne me ſoupçonnoit pas de voir Verland, & je le voyois tous les jours, je ne pouvois plus vivre ſans lui, il ne pouvoit plus vivre ſans moi. Croiras-tu que juſqu’alors j’eus aſſez de pouvoir ſur moi-même, pour ne pas ceder à ſes inſtances, & pour rejetter (quoique ce fût le but de tous mes deſirs) le ſeul moyen de mettre ma mere à la raiſon ; mais attendrie par les larmes de mon amant, preſſée par mon amour, vaincuë par mon penchant, je prêtai l’oreille à la propoſition qu’il me fit de m’enlever, nous convinmes du jour, de l’heure, & des moyens.

La violence de mon amour ne me laiſſoit voir que les plaiſirs que je goûterois avec mon amant. L’autre le plus affreux me paroiſſoit un lieu enchanté, pourvû que j’y fuſſe avec lui. Le jour arriva, je me diſpoſois à m’aller jetter dans ſes bras, j’allois ſortir, un bras inviſible m’arrêta, ma paſſion a-